J’ai tenu à inclure aussi une version en français, car l’une de mes principales sources d’inspiration pour la poésie, dans les années 1970, a été le poète et traducteur Jean-Pierre Rousseau, qui habitait alors comme moi dans le quartier de Kaleva à Tampere. C’est grâce à lui que j’ai passé un été à travailler dans les Landes, dans le sud de la France, pour découvrir de plus près la manière de vivre à la française.
En suivant la poésie de Jean-Pierre, j’ai moi aussi trouvé un nouvel élan, et il m’a parfois encouragé à publier mes poèmes. J’ai notamment lu et relu avec passion son ouvrage commun avec Seppo Lappalainen, le recueil franco-finlandais Les oreilles de souris = Hiirenkorvat. Plus tard, Jean-Pierre a continué à construire un pont entre la culture finlandaise et la culture française, entre autres en traduisant les poèmes d’Eino Leino.
Association des rhumatisants de Kuopio, Kuopio 1986.
– sélection de poèmes du livre
Souvent, aimer
la vie
est difficile :
l’attachement paraît
unilatéral.
La mer est pleine
pour toi
– pour que tu comprennes que ton visage
se déforme
et s’efface
jusque des souvenirs.
Il serait grand temps.
Pourtant,
où que je me hâte,
je n’atteins jamais le but,
et même si je gagne,
je reste toujours
du côté des perdants.
Un homme n’a
que trois peurs :
celle de l’avenir,
celle du présent
et celle du passé.
Je voudrais devenir le frère des chagrins ;
je leur serrerais la main et dirais en riant : bonjour.
Un visage blessé garde son amertume,
parvenu au pouvoir, il dépérit à peine.
La confiance en la trame du tissu des sens
peut prendre plus d’un homme dans ses filets.
Pourtant je ne me précipite pas
pour aller scruter les nuages.
Je n’ai pas avalé les doctrines du ciel.
Je sais : même l’oiseau ne plane pas sans effort.
Je dégage le tapis rouge devant moi.
La partie est finie.
Je rembobine les fils.
Et je décide à la hâte :
je rejouerai encore.
Un rat honnête est mort :
le pauvre disait trop la vérité.
À toi les remords,
si tu le déterres de sa tombe.
« Qu’est-ce que l’amour ? »,
se demande la main.
« La notion m’a échappé.
Serait-ce ce sentiment quand on met
sa propre main dans celle d’un autre
et que les doigts se plient
fermement autour de l’ami ?
De cela on ne lâcherait pas prise,
même en sombrant avec lui.
Alors j’éprouve le sentiment
le plus bienheureux qui soit ;
c’est ainsi que l’amour
pourrait venir jusqu’à moi. »
La vie humaine aussi est un arbre.
Elle s’enracine
comme partie solide de l’invisible
fondement de la terre.
En cherchant la lumière
elle s’étend – se montre
comme signe de la force de la beauté.
Mystérieusement,
la nuit avec ses tempêtes peut l’arracher
à sa floraison
pour rappeler la portée du passé.
Je m’apprête à partir
en guerre ;
il ne me reste qu’à décider
quel côté a raison.
Nos grands sacrifices
éteignent
en nous le jugement.
La larme
doit être liée
à un droit éternel.
Si Dieu croit
nous avoir créés,
accordons-lui ce droit.
Mais s’il veut nous ravir
notre propre vie,
créons
un nouveau dieu.
Se figent-ils
dans le moule d’un livre,
les tout-puissants
capables de changer
même le passé ?
Bien sûr je sais
que le monde a été créé
pour moi,
mais pour quoi
ai-je été créé, moi ?
Donne-moi ta main
dans la mienne.
Essayons d’ajuster
les lignes de vie
l’une à l’autre.
Quand on a un compagnon de jeu,
même le grand froid a du goût.
Sers-moi fort
pour que je remarque
que nous ne sommes
qu’un rêve.
Rien que la vie
touche.
Le meilleur, c’est quand
la vie touche la vie.
Si j’avais le pouvoir,
je trancherais la vie en deux :
en bon et en mauvais.
Je ferais frire le mauvais
jusqu’à le rendre croustillant
et je le mangerais pour calmer ma faim,
même si l’évêque
me condamnait.
Souvent
l’être humain juge sa position
d’après les yeux d’autrui,
où
la réalité se réfracte.
Je traverse ma vie
en essayant de laisser
des empreintes
pures.
Les promesses faites
à la vie
se perdent facilement
dans le marécage des réalités.
J’ai ouvert les stores
et j’ai vu un chien
se faire écraser par une voiture.
Qui blâmer :
le maître imprudent du chien,
le conducteur inattentif
ou moi,
pour avoir ouvert ?
Nous avons vu le même chien.
Il m’a léché
avec bienveillance,
il a failli
te mordre.
Je suis monté dans un bouleau
et j’ai senti :
le monde est vaste.
Pourvu que j’aie le pouvoir
de rester assis
dans le bouleau.
Le soleil de printemps
fait fondre
même la déception.
Au fond,
l’être humain sourit.
Nous apprenons seulement
à le cacher.
Voici l’œuvre de ma vie,
voici mon sacrifice.
Jugez,
afin que je ne saigne pas
en vain.