J’ai tenu à inclure aussi une version en français, car l’une de mes principales sources d’inspiration pour la poésie, dans les années 1970, a été le poète et traducteur Jean-Pierre Rousseau, qui habitait alors comme moi dans le quartier de Kaleva à Tampere. C’est grâce à lui que j’ai passé un été à travailler dans les Landes, dans le sud de la France, pour découvrir de plus près la manière de vivre à la française.
En suivant la poésie de Jean-Pierre, j’ai moi aussi trouvé un nouvel élan, et il m’a parfois encouragé à publier mes poèmes. J’ai notamment lu et relu avec passion son ouvrage commun avec Seppo Lappalainen, le recueil franco-finlandais Les oreilles de souris = Hiirenkorvat. Plus tard, Jean-Pierre a continué à construire un pont entre la culture finlandaise et la culture française, entre autres en traduisant les poèmes d’Eino Leino.
Raimo Tuomainen
Comment être au monde comme un mystère séduisant
– les poèmes du livre
Mediapinta, Tampere 2018
NÉ DANS UNE FORTERESSE
Dieu fait office de forteresse.
Ses pieux étendards ensorcellent depuis les hauteurs.
Ses canons altiers offrent une protection contre ceux
qui n’ont pas mérité son abri.
C’est là que je suis né.
Nombreux sont ceux qui ont répété ma naissance
en paroles de souvenir embellies.
Je croyais apprendre à aimer, mais dans cet amour-là on servait
la haine contre ceux qui se fiaient à autre chose.
Le mensonge mène toujours au dépérissement.
L’hypocrisie de la vie étouffait la compréhension naturelle.
Au cours de notre existence, nous devons chacun être prêts
à une autopsie du corps et de l’âme, si nous voulons nous préserver.
Moi, je viens – es-tu prêt(e) ?
POÈMES
Même si je n’existe presque pas,
j’ai enfanté d’innombrables poèmes.
On ne peut guère les appeler beaux,
mais laids, au moins.
Et l’on n’y trouve même pas de vrai défaut.
JE SUIS UNE MAUVAISE PERSONNE
Je suis une mauvaise personne.
Je n’ai jamais astiqué une voiture.
On n’arrive pas à me faire communier.
Je me suis déjà perdu dans l’ivresse.
Je n’ai pas accepté d’entrer à l’école des sous-officiers.
Parfois j’invente une blague graveleuse. Et je la raconte.
Mauvaise personne, oui,
mais ma vie est bonne.
MES ENFANTS, VOUS QUI ÊTES MORTS
Mes enfants, vous qui êtes morts avant de naître,
parfois vous me pesez sur le cœur.
Où êtes-vous ?
Dans le rapport d’autopsie. Oui.
Au cimetière. Oui.
Dans nos mémoires. Oui.
Mais j’attendrais encore une autre réponse.
Je suis inquiet.
Que peut-il advenir d’enfants
qui ne rencontrent jamais un seul être humain ?
Parfois j’aimerais vous élever
follement, puis vous protéger de la mort.
Enfant, j’avais peur de l’eau.
Je ne vous emmènerais pas au bord des eaux.
Les endroits étroits coupaient mon souffle.
Je vous emmènerais souvent sur la place du marché…
SI JE N’ÉTAIS PAS COMME ÇA
Si je n’étais pas tel que je suis,
je me réjouirais de la vie bien plus que la moyenne.
Pouvez-vous seulement imaginer comme mes pensées danseraient ?
Je jaillirais d’amour et d’idées – et de poésie.
Je la martèlerais et la lancerais vers le ciel,
pour que tous – tous ! – comprennent.
Je ne cacherais rien, je ne dissimulerais rien dans un tiroir.
Si seulement j’étais autre que je suis.
IL ME MANQUE LA PROFONDEUR
La profondeur me manque.
Je n’existe qu’en fine couche, même si je couvre bien des surfaces.
À mon crédit, il faut noter
que je ruisselle avec audace jusque sur les bords des abîmes.
Mais les dimensions intérieures…
Je n’atteins pas les mesures où se forme le grave recueillement,
pas même dans le chagrin.
Je ne suis qu’une plaisanterie.
MON ESTIME DE MOI
Ai-je une estime de moi suffisante pour vivre ?
Je pourrais la hausser
en ridiculisant quelqu’un d’autre.
Lui, après tout, n’a pas réussi
là où moi, si.
Mon histoire surpasse toutes les autres.
Personne parmi vous n’a,
à un peu plus de dix ans,
marché sur la gouttière glacée d’un immeuble de cinq étages,
d’un bout à l’autre, aller-retour.
Sauf Harri.
Mais Harri, je n’ai nullement l’intention de l’humilier.
Peut-être que mon estime de moi suffit.
Mais seulement peut-être.
UNE VIE FACILE
Une vie facile serait un cauchemar,
j’aurais l’impression que tous mes dons
partent à vau-l’eau.
Pour pouvoir me hisser plus loin,
je n’ai pas grandi plus grand que ça.
Une vie ordinaire,
ce serait comme si quelque système
donnait à la cuillère les consignes pour vivre.
Moi, je ne m’assieds pas sur une chaise haute.
À bien des égards, je suis très ordinaire.
Mais je sens que l’œuvre de ma vie
est de voir plus loin que les seuls 360 degrés.
La banalité totale n’y a pas sa place.
Une mort facile et ordinaire,
je ne m’y oppose pas.
Marché conclu.
SI ON ME FUSILLE
Si un jour on me fusille à l’aube
et que je doive prononcer mes derniers mots,
je ne dirai rien de limpide.
JE SUIS PARTAGÉ
Je suis partagé en deux.
Deux, c’est déjà beaucoup trop.
Mon côté gauche cherche à aller à droite,
mon côté droit lorgne vers la gauche.
Et puis le pas est alourdi par l’inquiétude
de gâcher mes chances
des deux côtés.
J’envie le nuage :
aller simplement avec le vent,
sans même savoir désirer.
Désirer est souvent
douloureux,
surtout quand on ne comprend pas
ce qu’on veut, mais qu’on veut quand même.
LE RELEVÉ DE NOTES DE L’ÉCOLE DE LA VIE
Quand je recevrai mon relevé de notes de l’école de la vie,
la note de soin et d’application ne sera pas brillante, je le devine.
Il est difficile de pressentir
quelles épreuves d’existence
influent sur le bulletin.
J’espère qu’on y inscrira
au moins le nombre d’enfants.
On raconte qu’au moment de mourir
on fait l’expérience de passer
dans un tunnel.
Ça me va,
j’ai toujours aimé l’odeur des tunnels.
Mais pour revenir au bulletin.
Si mon désintéressement
n’a pas été pris en compte dans l’évaluation,
j’ai l’intention de faire appel.
JE N’AI PAS BESOIN
Je n’ai pas besoin d’être quoi que ce soit d’exceptionnel.
Il suffit que je sois sur cette planète
et que je retourne le monde de fond en comble.
Je suis né pour répandre un évangile splendide,
une nouvelle conscience :
qu’on peut simplement rester là, à paresser.
Et à jouir. Et à faire feu.
Et à remettre mine de rien le monde à neuf.
SANS RAISON VALABLE
Je t’aime bien,
comme ça,
sans raison valable.
Ou disons plutôt qu’il est
agréable d’être dans les lieux
où tu es.
On dirait même que j’y gravite.
Je dois être maladroit
dans l’expression des sentiments.
Il est difficile de le dire bravement.
Je pourrais presque t’aimer, toi, par exemple.
POUR TOI, J’AI MON PROPRE VIN
Pour toi, j’ai mon propre vin.
Toi en moi, même quand je ne pensais pas à toi,
j’ai planté un arbuste, l’ai fait pousser et l’ai dépouillé de sa récolte.
J’ai accompli toutes les étapes jusqu’à la mise en bouteille
avec douceur et de tout mon cœur.
Je veille sur ta bouteille.
Je devine, ou je sais, que tu ne la boiras pas.
Au moins sais-tu
qu’il existe un vin pour toi.
LOGIQUE
J’ai appris à comprendre
qu’entre deux dents
il ne peut y avoir qu’un seul espace interdentaire.
Mais pour nous deux
la logique ne tient pas.
Entre toi et moi il y a tant de choses.
FANTAISIE
L’être humain a besoin de fantaisie
pour vivifier son quotidien ennuyeux.
En tant que ton chien,
je recevrais tes caresses ferventes et tes gratouilles.
Et je vivrais des excursions dans la nature avec toi, à flairer des odeurs fascinantes…
Je pourrais m’enfuir loin de toi,
et tu me pardonnerais tout simplement,
fou de bonheur de m’avoir retrouvé.
TU TE RÉGALES DE CLICHÉS
Toi, tu te régales de clichés.
Moi, je voudrais sans cesse engendrer
de nouvelles images impies,
les nourrir, les choyer.
Je les tirerais en fusées vers le ciel,
pour qu’elles s’y répandent
sur toute l’humanité insatiable.
Si au moins de l’une d’elles
pouvait naître un vrai cliché authentique.
PERSONNE, JAMAIS
Parfois je me suis attristé du fait que
même si presque tout le monde semble m’aimer bien
et que beaucoup m’aiment,
personne ne s’est jamais
éperdument épris de moi.
Sans doute est-ce un grand chagrin. Ou peut-être un petit.
Ou bien quelque chose entre les deux.
EN HOMME-ARAIGNÉE
Je viendrais vers elle
en homme-araignée.
Je ferais mine, au début, de ne pas remarquer
sa beauté.
Puis il y aurait – en apparence seulement –
quelque confusion dans les toiles,
et nous resterions pris l’un à l’autre.
Ensuite, ça irait tout seul,
pourvu qu’elle soit d’abord
tombée amoureuse de moi.
TE SOUVIENS-TU QUAND NOUS NOUS SOMMES EMBRASSÉS ?
Te souviens-tu quand nous nous sommes embrassés ?
C’était quelque chose.
C’était un événement inoubliable.
Si tu ne t’en souviens pas,
ne te précipite pas
pour faire vérifier ton traitement.
Cela s’est passé dans mes rêveries,
auxquelles tu n’es relié(e) que par un fil ténu.
Si défaut il y a quelque part,
je l’admets,
il est en moi.
JE SUIS VIDE
Je suis vide, seulement quelques rôles et des vêtements.
Quelqu’un m’a gonflé ainsi – je devrais être à plat.
Cela, seuls le comprennent ceux qui ont résolu mes mots croisés.
SI JAMAIS
Si jamais il me manque
un sens,
cela n’empêchera pas le monde d’être beau,
pas même mon monde à moi.
Je sentirai la beauté, à l’odorat s’il le faut.
Il sera beau encore
quand je pourrirai dans la terre.
Si un jour je me retrouve
allongé comme une plante,
je sais que je serai oppressé,
si je comprends ne serait-ce qu’un peu la situation.
Je fulminerai sans que personne ne le voie.
Je maudirai la médicalisation.
Je ne voudrais au grand jamais vivre cela,
mais si l’on y est jeté,
il faudra bien en porter la souffrance.
Chacun sa croix.
Je prierai peut-être pour qu’alors ne revienne pas
la claustrophobie,
dans mon petit corps.
Mais le monde est beau.
VACANCES !
Vacances !
Le droit de traîner à ne rien faire,
la permission de ne pas prononcer la moindre pensée brillante.
Je m’évapore seulement sous la chaleur du soleil
quelque part là-haut dans les airs,
aaahh.
Aïe ! Et si je finissais dans un nuage d’orage !
CONCOURS DE BEAUTÉ
Je ne suis pas très visuel,
mais je me régale
de la beauté de la planète et des femmes.
Un jour, j’ai organisé
un concours de beauté.
Dans les femmes il n’y a ni lacs ni mers.
Je n’ai jamais vu la planète sourire.
Les femmes n’ont pas de sommets enneigés.
Les yeux de la Terre ne m’ont jamais fixé d’un regard envoûtant.
Les forêts vertes ne poussent pas dans les femmes.
La planète n’affiche pas de formes féminines.
Mais dans les deux il y a une sensuelle délicatesse.
Dans les deux il y a une beauté tendre,
une maternité qui veille sur ses enfants.
Il était difficile d’attribuer les points.
Mais finalement, j’ai laissé les femmes gagner,
car Mère Terre sait très bien sans moi
qu’elle est belle, la plus belle du monde,
par nature.
ÇA NE TUE PAS
Ça ne tue pas, de vivre.
Bon, ça ne tue pas non plus, de s’abstenir de vivre.
Les fautes font honte un certain temps,
les petites un peu,
les grosses plus longtemps.
Mais à la mort elles ne font plus honte, les fautes.
Ce qui peut faire honte, c’est de n’avoir même pas essayé
une bêtise ou une folie.
SOUCIS ET HONTE
L’humanité est maîtresse
dans l’art d’inventer le souci et la honte.
Quelle vocation avons-nous
outre la guerre destructrice,
sinon celle d’une autosévérité spirituelle
totalement gratuite ?
DE TRAVERS
Chaque être humain, à sa belle manière,
est un peu de travers, tordu en poussant,
comme chaque arbre.
Cela rend tout imprévisible,
la vie est palpitante.
Deux êtres un peu tordus,
d’une façon ou d’une autre,
peuvent d’ailleurs ensemble
être en moyenne assez droits.
LA VIE, C’EST LÉCHER
La vie, c’est lécher.
Nous avons, jusqu’à la maladie,
soif de l’approbation des autres,
au point d’oublier notre propre vérité.
Nous nous accrochons les uns aux autres.
À toi, je promets
que tu n’as pas besoin
de me plaire sans cesse,
même si je suis si important.
Tu es entièrement aimé·e.
SI JE TE RABAIS
Si, fois après fois,
je te mets en doute, te minimise, te rabaisse,
le problème n’est pas en toi.
Il est en moi.
Ce n’est rien d’autre
que de la violence psychique,
même si tu ne la reconnais plus comme telle
quand tu as bien appris ta leçon.
INJUSTICE
La nature se bâtit sur l’injustice.
La société, elle, ne le devrait pas.
Ceux qui veulent que nous
prenions la nature pour modèle
plaident en pratique pour que
l’on organise pour les héros de la compétition
une séance de tirs au but
contre ceux que la vie a déjà mis à terre.
TRAITS IRRITANTS
Chaque être humain est plein
de traits irritants
que l’on voit
lorsqu’on le regarde en biais, par derrière, sur la gauche.
Mais pourquoi regarder ainsi ?
Particulièrement agaçants
sont ceux qui rappellent
que les autres
n’irritent
que si on les regarde en biais, par derrière, sur la gauche.
RÊVEURS
Pour que les rêves deviennent réalité,
il faut d’abord des rêveurs.
Mais où sont les rêveurs modernes ?
Réduits au silence, mis à l’écart, oubliés,
pour ne pas troubler la marche régulière et épuisante
vers un avenir sans horizon.
Demain, je renoncerai à ma vision
et j’en ferai un rêve.
Servez-vous, inspirez-vous-en.
AU MOYEN ÂGE
Au Moyen Âge
on ne se souciait guère du fait que beaucoup mouraient de faim.
Au Moyen Âge
on étouffait les intuitions des gens
et ils devaient penser comme il faut penser.
Au Moyen Âge
on ne voyait pas la valeur intrinsèque de l’être humain,
il lui fallait la mériter.
Le Moyen Âge, il y a encore,
il n’y a qu’un instant,
c’était le Moyen Âge obscur.
BEAUCOUP CROIENT SAVOIR
Beaucoup sont persuadés de savoir
à quoi ressemble le monde,
au moins presque à la fin.
Ils ont confiance
que la science actuelle apprivoisera
la vérité.
Mais la science est un instrument terriblement maladroit,
avec lequel on ne peut même pas voir les monstres.
Quand on réunit la science, l’art et la religion,
on obtient une prise sur le monde telle
que même les monstres s’évanouissent.
ES-TU DESTINÉ(E) À ÊTRE COMPRIS(E) ?
Es-tu destiné(e) à être compris(e) ?
Tu me balances tes étranges codes devant les yeux
et quand je parviens lentement à les déchiffrer,
la date de péremption est déjà passée.
Je cherche en toi le fil rouge.
Et je le trouve.
Quand je commence à tirer dessus,
tu fais étrangement changer la lumière,
et le fil a soudain l’air brun.
Tu es plein(e) de ruse.
Quand j’analyse ton intrigue
et que je parviens à formuler une excellente loi de la nature à ton sujet,
tu t’avères être l’exception qui confirme la règle.
Il ne me reste qu’une belle théorie.
Je prends mon destin en main
et je décide d’embrasser ta joue.
Quand je vise,
tu te retournes la tête en bas,
et c’est ton genou qui se retrouve dans ma bouche.
Ça suffit comme ça ?
Mon intelligence sociale ne veut décidément pas suffire.
On ne te lit en tout cas pas comme
un guide de la nature finlandaise.
Tu es plutôt un magazine de bandes dessinées,
plein de gags en trois cases.
Quand on passe d’une blague à l’autre,
plus rien de ce qui précède n’a la moindre importance.
J’AI REMPLI UN VIDE EN TOI
Merci à la vie.
Sans la vie tu ne m’aurais pas eu près de toi.
Quelle bénédiction j’ai invoquée pour toi.
J’ai rempli quelque chose de vide en toi.
Mes yeux et mon sourire
t’offrent cette chaleur
qu’une société humaine débordant de froideur
ne t’accorde pas.
Je prononce juste une de mes phrases un peu folles,
et aussitôt ton tétanos intérieur a fondu.
Dans mon étreinte,
ta peur de l’eau se transforme en désir de plonger.
Ce qui reste déroutant,
c’est simplement le temps qu’il t’a fallu
pour prendre conscience et accepter
à quel point je compte.
LE MARIAGE EST PLUS QUE L’AMOUR
Le mariage est plus que l’amour,
la confiance, l’amitié ou la sécurité.
Il est tout cela, et quelque chose de plus encore.
Mais son fondement demeure l’amour.
La lumière la plus pure, la moins réfractée,
c’est la lueur de l’amour,
qui brûle d’un œil à l’autre
et dont on sent la chaleur dans le cœur.
Laissez votre avenir commun
se baigner dans cette lumière inépuisable.
L’amour n’a pas besoin de brûler,
pourvu qu’il réchauffe.
L’amour n’a pas besoin d’être lisible,
pourvu qu’on le reconnaisse.
L’amour n’a pas besoin d’être univoque,
pourvu qu’il fasse signe.
L’essentiel, c’est que l’amour soit.
Et l’on peut le nourrir, le dorloter, le taquiner même.
Parfois il se repose,
mais même alors
il commence déjà à attendre le moment de refaire surface.
VOUS NE FAITES QU’UN
Vous avez choisi.
Vous ne faites qu’un.
Vous vous êtes trouvés et mérités l’un l’autre.
Pour cela il faut de la confiance,
il faut de la volonté,
il faut de la délicatesse.
Il y a de la lumière dans le monde.
Vous l’avez vue l’un dans l’autre.
La vie comporte aussi de l’ombre.
Dirigez la lumière l’un vers l’autre,
et même l’obscurité semblera avoir un sens.
INFÉRIORITÉ
Ils accordent leurs belles langues,
que moi justement je ne comprends pas.
Je ne sais que faire des gestes
pour dire : allez-vous-en.
Ils connaissent tous et demi les noms secrets de Dieu, ils les marmonnent.
Moi je ne fais que les regarder, en cachant combien je suis méprisable.
Ils participent.
Tout le monde entend leurs rires, et ils restent résonner
dans le recoin entre les oreilles.
À côté d’eux, on se retrouve au fond d’un puits si profond
qu’on ne peut même pas gesticuler pour dire :
envolez-vous loin d’ici et : sauvez-moi quand même !
Et quand je trempe un doigt dans l’eau, je prends conscience
qu’il y en a, encore et encore, à fond perdu –
si je me lasse, il n’y a plus rien qui ne puisse me noyer.
Leur but est justement celui-ci : avec un léger sourire aux lèvres
en finir avec le peuple de l’ombre.
Pour eux ne comptent que la lumière et la vérité,
et je ne représente ni l’une ni l’autre.
Rien n’y fait.
Ou bien je tombe en enfer, ou bien je ferme les yeux.
Comme s’ils n’existaient pas.
Ce mensonge-là, il me faut encore l’essayer.
JE BOUILLONNE
Je bouillonne,
quand tu ne sers à rien.
Tu fais seulement, de façon abstraite,
l’enchantement de ma vie.
Voilà tout.
Si seulement tu étais au moins du chocolat blanc,
qu’on puisse croquer.
Tu n’es qu’un frémissement de séduction
qui gêne la concentration
sur toutes les injustices du monde.
Le monde, lui, est tout droit sorti de l’enfer,
et toi, tu viens brouiller complètement ce ressenti,
tu fais naître un enthousiasme pour l’au-delà
et tu le laisses là.
S’il faut absolument que tu sois un ange,
sois au moins un ange de l’enfer,
qu’il soit facile de te fuir.
Le majeur bien levé pour toi !
QUEL GÂCHIS
Quel gâchis,
de n’avoir jamais su lui dire
à quel point il était important et cher.
Un flot de possibles
s’est asséché dans une timidité dérisoire.
Y A-T-IL EU UNE ERREUR ?
Bien souvent je me suis demandé
s’il n’y a pas eu quelque erreur
pour que je naisse humain.
Est-ce vraiment cela
que je serais censé ruminer ?
J’ai plutôt l’impression
que j’aurais dû naître renne
et me présenter ensuite
au Père Noël
pour voler et faire voler,
porter des cadeaux aux enfants du monde entier.
Je me serais peut-être lassé assez vite pourtant,
vu tout ce qu’on donne déjà
de matériel aux enfants.
Il ne me reste qu’à faire confiance
au fait que mon destin a été choisi avec sagesse.
J’AI TANT ATTENDU
J’ai tant attendu, oui.
Que germent en moi de grandes intuitions
pour porter l’humanité d’un cran vers la lumière.
Ou au moins la société. Et à défaut, moi-même.
Mais mes pensées sont si minuscules, des réflexes.
Des flocons de neige ou des grains de sable,
jolis-jolis certes, mais soufflables d’un seul souffle.
En les écrivant elles se condensent en quelque chose de si dérisoire
qu’un seul coup d’œil suffit à les balayer.
Et par-dessus le marché : la poussière inexplicable qui s’y incruste,
si sale, si vicieuse !
Et même la lumière – le soleil se couche nuit et jour.
FAUX HAIKU
Je suis tellement de travers :
un haïku, mais qui,
par le bas, se déforme !
ON VOIT À TRAVERS MOI
On voit à travers moi.
Tout le vide dont je suis fait
est d’une facilité déchirante à percevoir.
Alors que ma tâche serait pourtant de me réfléchir
à différentes longueurs d’onde
et sur différentes dimensions,
pour qu’il en naisse une couleur, de préférence tout un spectre.
Et si je n’étais en fait
qu’une pauvre illusion
qui tente de scintiller la lumière ?
Ne cherchez pas la vérité,
car après elle, je n’existerais plus.
JE VIENS JUSTE DE ME SOUVENIR
Tu me pardonnes,
de ne pas t’avoir regardée
quand, fière, épuisée par la vie,
tu me montrais
ce que tu avais joliment fait surgir d’un petit crochet,
en plein milieu d’une éruption volcanique ;
je venais justement de me rappeler mes derniers vers.
Tu ne me pardonnes pas ?
CE QU’IL Y A EN TOI
Je désire si farouchement
ce qu’il y a en toi.
Bien sûr je tiens beaucoup
à bien d’autres choses aussi.
Non, je ne suis pas dépendant,
pas du tout !
Mais je ne supporte pas la vie,
cette vie-ci,
sans.
COMMENT PEUX-TU MÊME COMPARER ?
Comment peux-tu seulement comparer ?
Mais moi, je suis l’aube,
encore embuée de l’épaisseur de la nuit,
mais après un café bien serré,
des regards qui étincellent.
L’autre, ce n’est que la dernière blague du soir
dans une compagnie qui somnole.
Certes, ça fait sourire,
mais qui aurait l’énergie de dire « bon, on s’arrête là » ?
Tu ne comprends donc pas :
c’est moi que tu aimes !
TES DOCTRINES
Tu m’as appâté dans ton école d’idiotie.
Moi, fuyant comme je suis,
je n’ai mérité que des notes médiocres.
On m’a fait pousser un aigu suraigu, un mi tout là-haut,
alors que je ne distingue même pas une octave d’un octane.
Ils m’ont dépouillé de ma fierté.
Je me demande bien si je suis vraiment fait
pour finir en tapisserie sur ton mur.
Envoie donc quelqu’un d’autre à ta formation,
accorde-lui même une bourse.
Tes doctrines conviennent mieux
à quelqu’un dont l’électroencéphalogramme
bat bien docilement : un, croix, deux.
JE SUIS TOMBÉ AMOUREUX D’UN NUAGE
Je suis tombé amoureux d’un nuage,
de son contact chaud
et tendre sur mes joues.
Il connaissait la langue des humains
— ouh, quelle magie !
Il murmurait : « Aa, couac ! »
Et moi, j’ai interprété ça
comme une déclaration d’amour,
car autrement
on ne dirait pas une chose pareille.
Le soleil s’est réveillé
et a laissé le nuage se dissoudre.
Les molécules d’eau ont enfin pu
remplir leur mission.
Ce n’était pas moi.
AUX BORDS D’UNE AMITIÉ
Je suis au bord d’une amitié,
en train de compter les jaunes d’un pissenlit,
nombre impair ou pas.
Ce serait si naturel d’en cueillir une poignée
et d’arracher les pétales
jusqu’à ce que le résultat soit
statistiquement significatif.
Toi, tu pourrais être
ce bouton éternel d’anémone des bois.
Pourquoi alors te fais-tu chardon,
chaque jour avec plus de passion ?
Et au fil de ces jours,
les jaunes du pissenlit deviennent blancs.
Alors il ne reste plus qu’un souffle.
Et compter devient
diablement facile.
RÉVEILLÉ
Je sursaute en me réveillant.
À l’état de veille il ne reste plus
que des phrases égarées de chefs-d’œuvre
et des fragments de compositions incompréhensibles.
Je voudrais seulement dormir.
Je voudrais entendre
ma moitié se prononcer comme une part de moi.
Comme dans mon rêve.
J’ai pour consolation des souvenirs
d’une symphonie et d’une épopée communes.
Mais eux aussi me tiennent à distance.
Quand j’en attrape un seul dans mes bras,
ils se mettent tous à pleurer.
Et moi aussi.
SI AU MOINS
Des mouches pullulent
de la viande morte.
Si seulement au moins il y avait ce but
à la mort de cette relation :
que le ciel
reçoive de nouvelles mouches.
C’EST TOI QUE J’AI TANT ESSAYÉ
Dieu que je t’ai essayé, toi.
J’ai essayé de tendre la main jusque là-haut, à nos altitudes.
Je ne t’ai pas hissée au rang d’étoile,
mais bien au rang de ma lune,
de chacune des douze que je connais,
et un peu comme
dans un livre pour enfants, dessinée avec un sourire.
Moi, je criais de joie : veux-tu entendre une histoire d’amour ?
Et toi, tu as dit : ne me crie pas dans l’oreille.
J’allais encore te demander quelque chose d’important,
mais je n’en ai plus eu la force.
APRÈS T’AVOIR COURTISÉE
Je me suis déguisé en attaque acide pour que tu ne puisses pas me résister.
Mais toi, érudite comme tu es, tu savais tout
sur le péché des douceurs.
Je me suis déguisé en cercueil
pour t’arracher des larmes, te garder attachée à moi avec des fleurs blanches.
Tu n’as pas su t’attendrir.
Pendant terriblement longtemps j’ai tenu bon, explorant le relief de ton ego.
Il n’était que trop petit, ou trop grand, ou vide, ou hors d’atteinte.
N’importe quoi, mais trop pour moi.
Ou alors tu es simplement un ensemble surnaturel,
trop peu scientifique pour comprendre ma vérité.
Je dis seulement que ma vérité a été éprouvée
– elle, au moins, n’a pas brûlé dans le feu.
Peut-être n’es-tu qu’un smiley sans expression.
Si c’est le cas, réveille-toi, tu as tout ce qu’il faut en toi !
Je peux te montrer ce qu’est une vie « juste comme il faut ».
LES MAISONS SOMBRES OÙ
Les maisons sombres où l’on aimait le mensonge sur la lumière,
et les souvenirs balayés à la hâte, bien au propre – ils guettent.
Comme un herpès ils remontent de leurs recoins,
pour meurtrir, justement quand on est le plus vulnérable.
Ils espionnent, apprennent chaque étape du chemin humain,
sont là sans jamais demander leur place.
Ils serrent un peu la gorge, c’est pour cela qu’on les a élevés.
Parfois la détresse a besoin d’ordre, parfois de gouttes.
Ils mentent toujours, mais exigent la vérité absolue.
Si personne ne règle la note, ils se transmettent en héritage, s’accrochent aux gènes.
Et ce sourire, toujours,
quand quelque chose est enfin touché !
Mais ce sourire-là, aussi ravissant soit-il, n’est pas authentique.
Il ne vient pas du cœur, mais du miroir.
Il y a une fissure, dans tout, absolument tout.
TU ES PARFAITE
Tu es parfaite.
Tu n’as besoin de rien de plus,
même si un peu plus
ne ferait pas de mal.
Tu es exactement
ce dont le monde a besoin maintenant,
parfaite vue d’en haut, d’en bas, de face et de derrière.
Les tempêtes et les fissures embellissent le monde,
toi aussi.
Tu as bien le droit d’être insatisfaite.
Ça aussi t’embellit un peu.
J’ADMIRE LA RAIDEUR DE TA NUQUE
J’admire la raideur de ta nuque.
Elle m’offre
un excellent prétexte pour franchir la frontière,
quitter le royaume des mines sévères.
J’ai dans mes mains un visa
pour ta nuque.
JE TE PRENDRAIS BIEN
Je te prendrais bien, merci.
Tu peux être encore un peu à moitié cuite,
au fond j’aime la pâte crue.
Et sans glaçage !
J’AI L’INTENTION
J’ai l’intention de me faire passer en contrebande
jusque sur les terres de tes âmes.
TOI
Toi !
Toi. Rien que toi.
Pour toi, à toi, en toi, chez toi, avec toi, comme toi, loin de toi.
De ta part.
Toi. Toi !
LE CORTÈGE DE LUCIE
Notre cortège de Sainte-Lucie,
en route pour encaisser
les cadeaux de la vie,
jour après jour.
Toi, en éclaireuse de plein droit ;
nul besoin de vote du public.
Ta bougie vacille gauchement.
Je me demande si, au fond,
tu en avais vraiment besoin,
toi qui rayonnes déjà
sans rien.
AMUSE-TOI AVEC MOI
Batifole avec moi.
Si tu veux, je serai
un chewing-gum au goût de salmiakki,
que tu pourras mâchouiller bruyamment,
gonfler en bulle et faire éclater.
Ou bien on peut m’utiliser
dans un jeu de guerre ;
la très sévère armée finlandaise exige :
— Chargez, arme prête !
Mais en chewing-gum au goût d’ail,
je refuse catégoriquement.
UN MILIEU BIEN PROPICE
Nous avons tout de même
ce milieu si propice.
À l’intérieur, c’est un bonheur d’être heureux.
Quand chacun prend,
il donne en même temps.
Cela rend dérisoires
bien des petites éraflures
aux alentours du cœur.
JE DOIS ÊTRE AMOUREUX DE MOI
Je dois être amoureux de moi,
Je le crois, car
tu es devenue
une part si centrale de mes pensées
et de mon cœur.
APHRODITE
Aphrodite !
On t’a marquée au sceau de l’amour.
Où que tu marches,
tu donnes et tu reçois le ciel,
pourvu qu’il y ait près de toi au moins
un peu de petits cœurs tout chauds.
PLUS TU ES PROCHE
Plus tu es proche,
plus je me souviens
avec précision de mon sexe.
D’ailleurs, tu bondis dans mes pensées
même à des heures de route.
TU AS CONTAMINÉ
Tu as inoculé une maladie de prédilection.
Elle ne peut en aucune façon te mordre, toi,
mais moi, si.
Avant que tu n’apparaisses,
je ne savais rien
des douleurs du manque-de-toi.
Mais maintenant.
LA PILE
Il a fallu que j’enlève
la pile du détecteur d’incendie,
car je t’aime d’un amour brûlant.
UNE SEULE PERSONNE
Qu’une seule personne puisse changer
le monde entier.
Un souffle dérisoire,
avec ses poumons, son intestin grêle, son cœur.
Une seule âme héroïque
avec ses névroses, ses colères, ses maux de tête.
Elle ne fait que souffler
un encens mystérieux.
Et voilà qu’il n’y a plus
la moindre trace d’obscurité.
DE PART EN PART
Je veux chercher en toi
jusqu’à la dernière particule
qui refuserait d’exploser dans mon accélérateur.
Te laisserais-tu traverser de part en part ?
Moi, en tout cas,
je le ferai, de part en part.
TU ES MON HIBISCUS DE CHINE
Je ne t’apporte pas de fleurs,
car je veux que tu te fasses pousser toi-même,
et que tu t’arroses.
On changera la terre chaque fois qu’il le faudra,
même si ça fait un peu mal.
Tu es mon hibiscus de Chine.
Attends, je vais te parler,
c’est bien comme ça que les fleurs
poussent le mieux.
PARFOIS JE PERDS MA SENSIBILITÉ
Je suis désolé,
parfois je perds ma sensibilité
quand je m’acharne sur des problèmes intellectuels.
Je peux alors paraître insensible.
Je te promets de pleurer pour toi ce soir.
JE PROMETS DE RENAÎTRE AUTRE
Laisse-moi mourir dans tes bras.
Là, je promets de renaître tout autre,
plus aimable encore.
Contractions : je deviendrai si petit
qu’on ne distinguera plus en moi
rien de rébarbatif.
CES TROIS SEULS MOTS
Ces trois mots seulement
suffisent à tout condenser.
Le reste est superflu, mais non dénué de sens.
Même si l’on nous lisait de la première à la dernière ligne,
nous resterions des énigmes éternelles et insolubles,
dont la valeur ne se laisse pas mesurer.
Nous ne sommes rien
et nous sommes tout,
selon le regard qui se pose sur nous.
TÉLÉPATHIE
Pourquoi quiconque,
qui n’a jamais vécu d’expérience télépathique,
devrait-il croire à la télépathie ?
Et pourquoi quiconque,
qui en a vécu une,
devrait-il nier l’existence des expériences télépathiques ?
SI J’ÉTAIS DIEU
Si j’étais Dieu
au commencement des temps,
je commencerais par créer les anges.
Ils sont très divertissants.
Mais assez vite il faudrait bien inventer l’humanité,
pour qu’elle produise du chocolat.
DIEU N’A AUCUN DROIT
Dieu n’a aucun droit
de venir juger les humains,
s’il n’a pas lui-même éprouvé
ce que c’est que d’être pire que dans le pétrin,
d’avoir disjoncté
ou d’être sérieusement fêlé dans sa personnalité.
Et de toute façon, il ne viendra pas.
MADEMOISELLE DIEU
Mademoiselle Dieu,
tu dois en avoir, du mal à garder ton sérieux,
quand tu écoutes ces prédicateurs
qui t’imaginent
aussi toquée
que l’ont été nos parents
depuis des millénaires.
Si tu es à peu près toute-puissante,
tu sais sans doute aussi, avec délicatesse,
retenir ton rire divin.
Ne te moque au moins pas
de mes poèmes, s’il te plaît.
Ou plutôt non,
finalement non.
Va, ris donc.
ACCROCHÉ À L’AUTRE
Être diablement, tendrement accroché
à un autre être humain,
— c’est ça, le ciel.
Et c’est justement cela
que les anges nous envient.
UNE RÉALITÉ ÉPAISSE
Cette réalité épaisse nous ferme les yeux sur le cadre.
Il n’y a que la toile sur laquelle nous implorons le pinceau de tracer les bons gestes.
Il est si difficile de se souvenir de la vérité sans les couleurs synthétiques en couverture.
Mais la couleur – ce n’est qu’un jeu de longueurs d’onde et de points de vue.
Et le tableau est un poème, librement interprétable.
L’imagination du maître surpasse toute illustration.
LES LARMES DE DIEU
Les larmes de Dieu montent du vide de la béatitude parfaite.
La création engourdit l’absence de but,
mais l’omnipotence fait de la divinité un enfer.
Dieu aurait tant soif, chez ses créatures,
de cécité à son propre vide.
CE QUI EST
Ce qui est, est aussi en moi, car il n’y a pas entre nous de vraie frontière.
Nous sommes le fait que tout se vive,
dont les lignes de séparation sont des ornements dessinés avec une pureté extrême.
Notre individualité, nos secrets et nos zones d’ombre existent,
mais eux aussi ne sont qu’un aimable, goutte à goutte, quasi éternel mirage.
Réjouissons-nous de ce que nous sommes pour ainsi dire, et de ce que nous ne sommes pas.
C’est ainsi qu’on appelle la vie.
Ce qui a été est en moi, comme explication de tout.
Il n’y a pas de temps, et il y en a.
Notre compréhension a besoin d’une bande passante qui semble faire bouger les choses.
Tout l’avenir est en moi à l’état de germe, avec tous ses potentiels démesurés,
d’une certaine façon déjà comme une histoire, autant qu’à venir.
Nous sommes l’assortiment de graines de l’infini qui remplit le tout,
des plénitudes du vide, quand nous regardons vraiment au fond de nos yeux,
qui n’existent pas.
DU MIRACLE HUMAIN
Nous sommes si nombreux,
particules passagères dans l’univers.
Les dieux font exception,
ils ont une prise plus ferme, même s’ils se savent en marge.
Pourtant ils insistent : la précarité est une illusion.
Comme le temps.
Tout ce qui a été vécu est éternel.
La vie est une longue liturgie,
pendant laquelle on a le droit de faire grand tapage.
Ainsi du miracle humain il reste au moins une nuance qui se prolonge.
On aimerait nous entendre fredonner
un chant de liberté.
Pas tous la même mélodie, mais chacun la sienne.
Car en tant que rouages de la machine nous ne sommes que de petits écarts.
Nous convenons mieux comme particules dans le flux du chaos.
Mais celui qui n’y parvient pas,
dans sa peur, sa honte, son ingratitude, même sa haine,
n’est pas condamné, non.
C’est encore une chanson.
JE VEUX RÉENTENDRE
Je veux réentendre tous les sons de ma vie.
Je suis prêt même pour ceux
que je n’ai pas su percevoir.
Les clés invisibles, jamais utilisées,
tintent peut-être le plus lourdement.
Nombre de mes chemins ont été sombrement solitaires,
sur bien d’autres je suis resté aux pieds des autres.
Mais le bruit de mes pas, lui,
résonne partout avec beauté. Ah !
LA VÉRITÉ NOCTURNE
La nuit, tous ceux qui sont revenus d’entre les morts consolent :
la vie n’est qu’un rêve dont on se réveille dans une parodie.
Ces rêves-là, je les voudrais en plein jour,
mais avec mes morts je ne me retrouve face à face
que comme en coupure publicitaire, au milieu de mes cauchemars.
En vain je cherche confirmation dans un rêve éveillé.
Nul ne m’a chuchoté si, de jour, on peut croire à la vérité nocturne.
La question serait : rst ema ?
MES YEUX SONT PLUS ÂGÉS QUE MOI
Mes yeux sont plus âgés que moi,
ils ont vu tant de souffrance chez les autres, peut-être trop.
Mon sourire est plus jeune que moi,
car il n’a vraiment vibré que pour le beau.
Il a parfois tenté, timidement, de se risquer aussi devant la souffrance,
pour relever un peu quelque chose.
Ainsi peu de force il a eue, à peine de quoi se montrer.
Enfin mes yeux, qui ont tout vu, ont appris à briller même dans l’obscurité.
Un jour mon sourire trouvera lui aussi la compréhension,
il jaillira de l’amour pour le monde, et non pour son état.
Et ainsi je vieillis, comme il faut.
CE N’EST QU’APRÈS MA MORT QUE J’AI COMPRIS
Ce n’est qu’après ma mort que j’ai compris
combien de lumière
j’avais créée malgré mon obscurité.
Ce n’est qu’après ma mort que j’ai saisi
combien
le peu peut compter.
Le courant qui passe
entre les humains,
invisible, insignifiant, inexistant…
Il remplit les dimensions du ciel.
Rien n’est plus grand
que la petitesse qui emplit le tout.
Nous sommes immenses.
Un instant humain, dont personne n’a conscience,
est une ferme caresse de sens
et en même temps la pointe douce, ténue, de l’amour.
La soif suffit à donner un sens à l’eau.
Ce n’est qu’après ma mort que je me suis souvenu
comment la fin du monde se tient entre toutes choses.
Et comment un nouveau commencement recouvre tout.
Il a fallu aussi du faux pour que le vrai soit couronné.
Nous ne sommes pas ce que nous ne sommes pas,
mais nous sommes tout le reste.
Et c’est prodigieusement beaucoup.
Une fois mort, on se repose un moment.
Il faut un temps avant le sourire.
C’est un sourire de compréhension, de jeu,
de pardon et d’amour ;
exactement le même sourire que pendant la vie.
On ne faisait que
ne pas le voir.
LA PROMESSE
Non, vous, ma famille, n’ayez pas peur,
je ne viendrai pas, une fois mort,
faire du bruit autour de moi !
Je connais ma parenté –
elle n’a jamais eu de penchant pour les défunts.
Et puis ces gènes de peur :
je n’ai aucune envie d’alimenter les frayeurs des miens.
Mais ces lecteurs, eux, c’est une autre histoire.
Quand, dans un lointain avenir, ils seront sur le point de sombrer dans la torpeur,
je pianoterai chez eux des messages avec toute la puissance de chevaux
dont disposent les non-incarnés.
Je tapoterai si fort qu’ils sursauteront
et se souviendront de ce qu’ils ont lu.
Qu’il tenait bien parole, celui-là, on aurait dû le croire.
Et un petit coup encore, pour la route.
MOI QUI NE SAIS PAS VIVRE
Moi qui ne sais pas vivre,
j’écris des poèmes.
Il restera de moi au moins des lignes droites,
même si la route a été sans repère.
Un jour j’accosterai à l’éternité,
m’étant pardonné
de n’avoir pas eu beaucoup de bon sens
et que, même en faisant de mon mieux,
je ne faisais que trébucher dans mes propres pieds.
J’ai fait mine de marcher sur la pointe des pieds avec grâce,
et pourtant j’ai aussi écrasé des meubles en miettes.
Un bon poème est
presque aussi à plusieurs niveaux que la vie,
mais pas tout à fait aussi long.
Je me suis appliqué à chipoter dessus,
au moins cela m’a tenu loin des mauvaises actions.
Et qui sait, ce poème peut bien rester
pour l’éternité, comme un acte d’amour.
MOTS D’ENTERREMENT
Nous appartenons ici,
mais aussi au monde des histoires.
Un beau conte,
chacun de nous.
Ici, nous ne sommes qu’un souffle,
bientôt dans le vent.
Au pays des histoires
nous continuons. Et nous continuerons.
En anglais | नेपालीमा (en népalais) | En suédois Page d’accueil |